22
Foch et Alix

Alix avait quitté Nichna depuis peu quand le repaire de Madox lui apparut. Il avait préféré marcher la courte distance plutôt que de se déplacer magiquement. Il ne craignait plus pour la vie de Foch depuis la communication télépathique de son père, flairant plutôt une manigance de ce dernier pour le conduire ici rapidement. Pourquoi ? Bonne question. Et c’est justement ce à quoi il réfléchissait. Cela, plus la présence d’un puissant mage noir qu’il ne connaissait pas. Était-ce un nouvel émule de Mévérick ? Un descendant d’Ulphydius ? Un des orphelins qu’Alix soupçonnait la Quintius de former en secret ? Et d’où venaient les Ybis qui l’accompagnaient ? Étaient-ils puissants ? Voilà bien des siècles qu’aucun Ybis n’avait été signalé sur le continent et il en apparaissait deux à la fois. Mauvaise nouvelle…

Toujours plongé dans ses pensées, le jeune homme franchit la porte de la petite cabane de bois sans s’annoncer. Il faisait très sombre à l’intérieur. Les fenêtres avaient été obstruées et seule une bougie éclairait l’espace restreint. Foch se leva pour accueillir son protégé d’autrefois avec chaleur. Il avait perçu son approche et était impatient de discuter avec lui. Les deux hommes ne s’étaient pas revus depuis qu’Alix avait quitté subitement les marais de Nelphas à l’annonce dérangeante de ses origines.

Le Cyldias constata que le vieil homme avait l’air encore plus fatigué et usé que la dernière fois. Après une accolade réconfortante, ils s’assirent tous les deux près du lit dans lequel Madox dormait.

— Comment va-t-il ? s’enquit Alix.

— Beaucoup mieux que je ne le croyais possible en si peu de temps. Le fait qu’il soit un Déus a indubitablement joué en sa faveur.

Songeur, Foch observait Madox.

— Ce jeune homme a de nombreux dons rares et précieux qu’il a su développer de belle façon. J’espère seulement qu’il n’aura jamais à se servir du dixième de ses capacités.

— Sait-il que sa mère est vivante ?

Foch leva des yeux las sur Alix.

— Je ne crois pas. Il est surtout préoccupé par sa sœur en ce moment ; il ne cesse de crier son nom dans son sommeil. J’ai dû lui faire avaler une potion de mon cru pour lui permettre de récupérer plus efficacement encore. Les cauchemars le tourmentaient de plus en plus. Il se réveillait sans cesse en sursaut, des dizaines de fois par nuit. Malheureusement, il ne parle que de partir à la recherche de Laédia.

Alix soupira. Absorbé par ses propres problèmes, il avait complètement oublié la jeune fille que les gnomes détenaient. Il choisit toutefois de ne pas approfondir le sujet tout de suite ; il voulait avant tout parler de son étrange rencontre. Il raconta son aventure à Foch, y compris l’appel de détresse qu’il croyait d’abord venir de lui. Le sage émit un long sifflement.

— Croyez-vous qu’ils sont nés sur la Terre des Anciens ? le questionna Alix au sujet des Ybis.

Foch hocha la tête en signe de dénégation.

— Les Ybis passent difficilement inaperçus : il y a nécessairement quelqu’un quelque part qui finit par parler. Je suis donc à peu près certain qu’ils sont arrivés d’un autre monde. Ils voyagent facilement et sans dommage d’un univers à un autre. Leur constitution est telle qu’ils peuvent se rendre immatériels et défier ainsi les lois qui régissent les passages. Ce qui m’intrigue davantage, ce sont les parents. Les Sages n’ont jamais compris qui pouvaient concevoir les Ybis. Faut-il des êtres particulièrement doués ou sont-ils des erreurs de la nature ? Et pourquoi n’apparaissent-ils qu’aujourd’hui, alors qu’ils sont déjà grands ?

— Les Ybis ne sont pas comme les Exéas ? Ils ne grandissent pas plus vite ?

— Non. Ils se développent à la même vitesse que les humains normaux. Heureusement, car leurs pouvoirs peuvent atteindre des dimensions extraordinaires, à l’image des Exéas. Pour être franc, ce qui m’inquiète le plus en ce moment, c’est qu’ils sont deux.

— Pourquoi ?

Foch se massa les tempes tout en expirant bruyamment.

— Que sais-tu au juste à propos des Ybis ?

Alix fronça les sourcils. Le vieil homme avait posé la question comme s’il doutait des connaissances de son ancien protégé.

— La même chose que tous ceux qui connaissent la vraie histoire de la Terre des Anciens. Ce sont des demi-hommes ou des demi-femmes, c’est-à-dire qu’ils n’ont que la moitié du corps, sur le sens de la longueur. Ils se déplacent habituellement en sautillant sur leur jambe unique, ont des pouvoirs magiques, vivent relativement vieux – deux à trois cents ans – et ils sont extrêmement rares. S’ils connaissent un mage ou un sorcier suffisamment puissant ou s’ils le deviennent eux-mêmes, ils peuvent parfois bénéficier d’un demi-corps magique, ce qui leur permet une vie plus normale. Il y a autre chose ?

Alix avait lancé sa dernière question d’un ton exaspéré. Que lui avait-on encore caché ?

— Tu n’as probablement jamais entendu parler de ce que je vais te révéler parce que cela fait partie des légendes de cette terre. Il semble que cela ne se soit produit qu’une seule fois auparavant…

Un court silence passa avant que Foch ne poursuive.

— Si les Ybis naissent jumeaux, ils ont dans ce cas une possibilité excessivement dangereuse : celle de ne faire qu’un en certaines occasions. Leurs pouvoirs et leurs dons s’en trouvent ainsi décuplés, les rendant quasi invincibles.

Alix se passa une main dans les cheveux.

— Pourquoi ne restent-ils pas réunis en permanence ? Leur vie serait beaucoup plus facile que d’avoir à recourir à la magie pour constituer un corps entier, non ?

— Même si les Ybis avaient alors un corps entier comme tu le dis si bien, les deux demi-têtes ne deviennent pas une seule pour autant. Tu comprends ce que ça signifie ?

— Il y a des jours où j’ai de la difficulté à vivre avec moi-même, répliqua Alix, songeur. Comment penser que je pourrais partager mon corps avec quelqu’un d’autre…

Foch sourit malicieusement. Connaissant le jeune homme, il n’avait pas le moindre doute sur cette affirmation.

— Reste à espérer que ces deux Ybis ne sont pas des jumeaux, qu’ils se sont retrouvés par hasard…

Foch vrilla son regard à celui d’Alix et répondit simplement, mais terriblement :

— Cette terre tolère mal les hasards !

Puis, changeant complètement de sujet, il s’enquit des projets immédiats d’Alix.

Ce dernier expliqua sa situation à Foch quant au problème que présentait le voyage raté de Naïla. Il lui demanda ce qu’il ferait à sa place, considérant ses origines et son rôle de Cyldias. Vers la fin du long exposé, Foch fit signe au jeune homme de s’interrompre un instant. Le vieil homme fronça les sourcils plusieurs fois, avant de se masser à nouveau les tempes, grimaçant légèrement. Sa souffrance ne faisait aucun doute. Alix n’avait encore jamais vu le mage aussi las. Ces quelques minutes lui avaient permis de se rendre compte que le bandeau cachant l’œil aveugle de l’érudit s’était sensiblement élargi depuis leur dernière rencontre. Le Cyldias choisit la voie de la franchise dès que le vieil homme l’encouragea à reprendre son récit.

— Qu’est-ce qui se passe, Foch ? Vous semblez plus soucieux que jamais et votre bandeau ne cesse de s’agrandir…

Le vieil homme détourna le regard. Il aurait préféré ne pas parler immédiatement à Alix de ce qu’il complotait avec Wandéline, mais plus le temps passait, plus il risquait d’en manquer. Et la nouvelle que venait tout juste de lui apprendre son amie par télépathie n’était rien pour l’aider. Wandéline avait remarqué que l’un des éléments qu’elle devait ajouter dans sa potion d’ici deux mois n’avait pas la forme voulue et serait donc inefficace. Par malheur, c’était les écailles de queue de sirène, créatures vivant depuis des siècles sur Mésa, en compagnie des nains. Ses propres origines le tracassaient également. Pour une rare fois, il choisit de s’ouvrir à quelqu’un. Il raconta d’abord l’histoire de la potion de Vidas et du grimoire d’Ulphydius. Alix grimaça.

— Comme si nous avions besoin de plus de problèmes encore ! s’exclama-t-il en pensant aux sept ingrédients manquants et au secret de la puissance d’Ulphydius qui reposait supposément à la naissance du jour.

— Je ne t’en aurais pas parlé tout de suite, si ce n’avait été de la récente découverte de Wandéline, te permettant de récupérer d’abord Naïla en toute quiétude. Malheureusement, il n’y a qu’elle qui puisse se rendre sur Mésa dans un délai suffisamment court pour que nous n’ayons pas à recommencer notre mixture une seconde fois. Quoique si ton père affirme que tu peux voyager, c’est probablement vrai. À moins…

— Qu’il ne souhaite ma mort dans la traversée ?

Foch hocha la tête.

— Je ne crois pas, nia Alix. Je pense plutôt qu’il a besoin de la Fille de Lune, mais qu’il juge plus sage de m’envoyer la chercher que d’y aller lui-même. Il nous fera probablement des misères dès notre retour…

Foch ne commenta pas, son regard étant éloquent.

Alix en profita pour mentionner la découverte de Séphonie concernant le désir d’Elisha d’avoir elle aussi une fiole de la potion de Vidas. Il conclut en disant :

— Je serais le premier à me réjouir de la disparition de Mélijna, mais je m’inquiète de ce soudain intérêt pour cette potion. Je vais devoir agir encore plus vite que je ne le croyais pour l’Élue.

Foch remarqua que le jeune homme refusait encore d’appeler Naïla par son prénom. Il ne dit rien, mais n’en pensa pas moins que la tâche serait beaucoup plus simple pour Alix s’il s’accordait le droit de l’aimer…

— Je pense pouvoir t’aider. Mais je dois d’abord te confier quelque chose…

Foch se recueillit en silence quelques instants avant de se lancer.

— Je ne sais pas si je serai encore de ce monde quand viendra le moment de mettre un terme au règne de Mélijna…

— J’étais certain que les cyclopes vivaient de deux à trois cents ans…, commença Alix, surpris.

— Les cyclopes oui, mais il semble que ce ne soit pas le cas des demi-cyclopes. J’appartiens à cette race uniquement par ma mère, ne l’oublie pas ; mon père était un humain ordinaire…

— Et pourquoi croyez-vous que la fin approche ? Si ce n’est de votre œil, vous…

Foch le coupa.

— Le sorcier qui m’a remis la potion me permettant de gommer les traits physiques des cyclopes pour avoir l’apparence des humains m’avait prévenu que ma vie tirerait à sa fin quand les effets de la mixture s’estomperaient. Lentement, l’espace entre mes yeux diminue et je crains de n’avoir bientôt qu’un œil au milieu du front, comme il y a trente-cinq ans. Ce n’est pas que ça me dérange ; j’ai longtemps vécu avec une apparence différente. C’est plutôt le fait que je n’aurai pas eu le temps, en cent dix ans, de réaliser tout ce qui me tenait à cœur et qu’il me reste peu de temps pour transmettre mes connaissances.

« Un problème de plus », pesta Alix, à part lui.

— Est-ce que quelqu’un d’autre le sait ?

— Wandéline, mais elle ne semble pas y croire plus que toi… Bon ! Maintenant que c’est dit, revenons à ta Fille de Lune perdue.

Au même moment, un grognement se fit entendre. Madox se réveillait.

* *

*

— Vous ne comprenez rien ! Je dois y aller. Ce n’est pas une option, c’est une obligation. Ma petite sœur est entre les mains de ces affreux gnomes depuis trop longtemps déjà…

Voyant que son ami s’obstinait sans céder d’un poil, Alix finit par lui avouer que Naïla était repartie sur Brume, mais n’était pas revenue à la bonne époque. Il espérait que Madox se calmerait et comprendrait qu’il devait se reposer encore s’il voulait être en mesure d’aider l’une comme l’autre. Peine perdue ! Madox explosa alors littéralement, criant qu’Alix ne méritait pas son rôle de Cyldias, qu’il n’avait jamais accepté sa situation ni protégé sa sœur comme il se devait. Elle était davantage en danger que lorsqu’elle avait quitté la Terre des Anciens où, au moins, des gens l’aimaient et voulaient sauver sa vie, ce qui ne devait pas être le cas sur Brume. Devant cette condamnation, Alix comprit qu’il valait mieux taire l’histoire d’Andréa.

— Assez discuté pour rien. Si vous refusez de comprendre et de m’aider, au moins fichez-moi la paix !

Sur ce, le jeune homme ramassa ses vêtements et son épée et se dirigea vers la porte, torse nu. Maîtrisant mal son exaspération, Alix l’agrippa par le bras, tentant de le retenir. Madox se dégagea d’un geste rageur et pointa son épée vers son meilleur compagnon des dernières années.

— Ne t’avise surtout pas de me retenir sinon il t’en coûtera. Je te rappelle que je ne suis pas sous tes ordres et que je ne te dois rien.

— Ce n’est pas une raison pour que je te laisse partir dans cet état et affronter des êtres dont tu as toujours sous-estimé les capacités. Tu ne seras pas capable de…

Interrompant Alix, Madox émit un ricanement amer.

— Voilà que le sire de Canac se permet de me faire la morale, maintenant…

Alix plissa les yeux. Ses traits se durcirent sous l’appellation, mais Madox n’en avait cure. Il en tirait même un plaisir malsain.

— Tu ferais mieux d’utiliser le temps qu’il te reste à vivre pour retrouver ma sœur saine et sauve. Je doute de pouvoir me contrôler encore bien longtemps face à un homme qui fuit ses responsabilités avec autant d’obstination.

La menace à peine voilée fit s’écarquiller les yeux étoilés d’Alix, où la colère brilla soudainement. Madox déraisonnait complètement.

— On ne peut pas accomplir seulement les missions qui nous plaisent, Alix. Il commence à être temps que tu l’apprennes…

Madox reculait tout en parlant, son épée toujours pointée vers son compagnon. Celui-ci, sa colère attisée par la dernière remarque, sortit sa propre épée de son fourreau et s’avança lentement vers le fils d’Andréa. Il avait bien envie de servir une bonne leçon à ce petit prétentieux qui croyait qu’être un Déus suffisait pour se tirer de tous les mauvais pas.

— C’est plus facile de critiquer les autres que de marcher dans leurs bottes, Madox. Pour le peu que tu sais de ma vie, je ne crois pas que tu sois en mesure de juger de ma façon d’agir, trancha Alix d’une voix glaciale.

Les deux hommes se jaugèrent en silence. La tension était palpable. Foch décida de ne pas intervenir. Il savait mieux que quiconque les tourments qui hantaient ces deux êtres éprouvés par la vie.

— Que pourras-tu faire, seul, pour sauver Laédia ? Qu’est-ce que tu t’imagines ? Que tu n’auras qu’à te pointer chez les gnomes pour qu’ils lui rendent sa liberté ? Que rien n’est à ton épreuve parce que tu es un Déus ?

Alix eut un sourire de désillusion totale, hochant la tête de gauche à droite.

— Ça vaudra toujours mieux que de jouer à cache-cache comme tu le fais, à attendre que quelqu’un d’autre assume le poids de tes erreurs. Je…

— En voilà assez ! gronda Alix en s’avançant dangereusement vers Madox. Tu ne sais même pas de quoi tu parles ! Je ne me laisserai certainement pas insulter par un gringalet qui n’a rien affronté de plus terrible dans sa vie que quelques mancius en colère.

— Et cette cicatrice, hurla Madox, pointant la longue balafre qui traversait sa joue gauche jusqu’à la naissance du cou, tu crois que je me la suis faite en trichant aux dés ?

Le jeune homme ne se tenait plus de rage. Son épée tremblait dans sa main.

— J’avais tout juste dix ans. Et j’ai reçu le coup pour avoir voulu sauver mon père d’un sorcier décidé à s’en débarrasser.

L’épée toujours brandie, Alix haussa les sourcils. C’était une révélation surprenante. Par le passé, Madox avait éludé la question chaque fois qu’elle avait été posée. Avant même qu’Alix puisse réagir, son vis-à-vis disparut dans l’embrasure de la porte. Longtemps après son départ, ses derniers mots résonnaient encore dans l’esprit du Cyldias :

— Si jamais Naïla meurt sur Brume, tu le regretteras toute ta vie…

Comme si Alix ne le savait pas déjà !

* *

*

Foch et Alix passèrent l’après-midi à discuter de la meilleure façon de récupérer Naïla, pour ensuite la faire disparaître à nouveau jusqu’à ce qu’elle puisse se servir de ses pouvoirs de manière convenable. Cette obligation ramena avec elle la nécessité de retrouver le talisman de Maxandre.

Et si, comme sa mère avant elle, Naïla allait accoucher sur Bronan ? Elle pourrait ensuite laisser les enfants sur place pour se mettre en quête du talisman – si nous ne l’avons pas trouvé avant, bien sûr. J’avoue n’y croire qu’à moitié… Je ne sais même pas où chercher, La seule piste que j’aie, c’est celle de Kaïn alors…

Il y avait une telle lassitude dans la voix du Cyldias que Foch eut presque pitié de lui. Au contraire de Madox, le vieux sage ne croyait pas qu’Alix fuyait ses responsabilités. Il était simplement dépassé par les événements qui se bousculaient depuis quelques mois. Quoi de plus normal ? Les responsabilités qui lui incombaient désormais auraient suffi à faire fuir n’importe qui…

— Il faudrait qu’elle revienne tout juste avant d’accoucher si tu ne veux pas être obligé de la cacher pendant plusieurs mois et risquer ainsi qu’Alejandre ou Mélijna ne la retrouve à temps.

Alix se passa une main nerveuse dans les cheveux.

— Si j’attends qu’elle soit à ses dernières semaines de grossesse, j’aurai encore plus de difficulté à la retrouver saine et sauve… Et je ne vois pas où les enfants pourraient être plus en sécurité que sur Bronan. Sans compter que ça me permettrait aussi de retourner chez les miens puisqu’il semble que je doive le faire bientôt. Je gagnerais ainsi un temps précieux. Pourquoi ne peut-on pas voyager en cellule temporelle ? Ce serait si simple !

— Détrompe-toi, c’est possible. Toutefois, je ne crois pas que ce soit judicieux. Tu risquerais de faire beaucoup de mal à un membre de ta famille et d’être très mal accueilli parmi les tiens. Ton comportement a déjà dû causer passablement de tort à un être de cette famille que tu ne connais pas.

Alix parla alors de sa sœur de sang mentionnée par la femme dans ses rêves. Il n’avait pu en discuter avec Foch la dernière fois qu’ils s’étaient vus, Alix ayant subitement disparu.

— Tu sais que tu risques d’être jugé pour ça si tu traverses vers Bronan ?

— Si je commence à me demander si je serai un jour jugé pour chacun de mes comportements délinquants, aussi bien dire que je ne ferai plus jamais rien !

Foch se rembrunit. Certains châtiments pour avoir dérogé aux lois de la Terre des Anciens pouvaient avoir de graves conséquences.

— Je persiste à croire qu’il vaudrait mieux pour toi et Naïla que vous évitiez Bronan avant qu’elle n’ait accouché et complété sa formation amorcée au Sanctuaire. Si jamais ton retour, aux sources tournait au cauchemar, vous seriez au moins deux à pouvoir vous défendre. Tu ne devrais plus assumer seul le poids de vos deux existences. De toute façon, il faudra bien dénicher ce talisman un jour ou l’autre.

— Mais où voulez-vous que je la cache pour qu’elle puisse accoucher en paix ? Il me faut un endroit où je pourrai ensuite laisser les enfants, tout en sachant qu’elle risque de mettre au monde des êtres dangereux que l’on ne peut confier à n’importe qui. Il est hors de question que je parte à la quête d’un talisman mythique avec des nouveau-nés dans mes bagages…

Foch fit mine de parler, mais Alix poursuivit sur sa lancée, sans s’en rendre compte.

— Rester sur la Terre des Anciens est impensable puisque Mélijna peut repérer l’Élue n’importe où, Dual est beaucoup trop dangereux, même si nous serions probablement capables de nous défendre magiquement pendant un certain temps. Brume n’est même pas à considérer ; c’est le monde qui risque d’être le plus démuni face aux pouvoirs que ces enfants développeront nécessairement en vieillissant. Nous pourrions aisément passer inaperçus sur Golia, vu notre petite taille, mais il nous faudrait y trouver les peuplades humaines capables d’élever ces enfants. Et nous ignorons si des humains ont réussi à vivre parmi les géants aussi longtemps. Pour ce qui est des elfes et des fées d’Elfré, ils sauraient certainement quoi faire avec les bébés, mais je crains que Mélijna n’anticipe cette solution puisqu’elle semble la plus logique après Bronan. Même si cette sorcière est supposément mal en point, je ne peux pas me permettre de la sous-estimer. Il ne reste donc que…

— Mésa, compléta Foch, C’est justement là où je voulais en venir. Jamais personne ne soupçonnera que vous vous êtes réfugiés dans ce monde si différent. Nul n’ignore que Mésa est composée à quatre-vingt-cinq pour cent d’eau et donc totalement inhospitalière pour les humains. Les quinze pour cent de terre habitable sont le domaine des nains et ces derniers ne fraternisent pas facilement. Ils préfèrent se tenir loin des guerres et des querelles de la Terre des Anciens.

— Où voulez-vous que nous nous cachions sur si peu de terre si nous n’y sommes pas les bienvenus ? s’impatienta Alix.

— Les sirènes et les vouivres qui vivent depuis des siècles dans les eaux de Mésa sont pacifiques pour les êtres comme Naïla et toi. Elles ne gardent que de bons souvenirs de leurs contacts humains et rêvent même de voir se rouvrir les passages pour que les échanges entre les peuples recommencent Avec les elfes et les fées, je crois qu’elles sont les seules à souhaiter ce retour en arrière pour les bonnes raisons. Elles se feraient un plaisir de vous accueillir et ça réglerait notre problème d’écailles en même temps…

Alix expira bruyamment. Était-ce lui ou Foch perdait un peu la tête ?

— Les sirènes vivent sous l’eau, articula-t-il lentement, pas en surface ni sur la terre ferme. Sous Veau… Qu’est-ce que…

Foch sourit. Tant de choses échappaient encore à Alix.

— Pour ce qui est de Naïla, elle devrait pouvoir vivre sous l’eau pendant quelque temps. Ça fait partie des privilèges rattachés à son statut. Pour ta part…

Le sourire de Foch s’élargit.

— Comme tu ne cesses de me surprendre, il se pourrait bien que tu puisses également vivre sous la surface sans que nous ayons besoin d’une quelconque formule. Il faudra seulement vérifier cette théorie avant que tu partes.

Alix allait répliquer vertement lorsqu’il se cambra brusquement vers l’arrière et poussa un gémissement étouffé. Il porta la main à son flanc droit, croyant que sa blessure se rouvrait en raison de l’absence de Naïla dans son quotidien. Il constata, soulagé, qu’il n’en était rien. D’où pouvait bien venir cette douleur ?

De son côté, Foch sonda le jeune homme. Quand il crut découvrir la source du mal qui frappait Alix, il retint à grand-peine une exclamation de surprise. Ce n’était pas possible, il devait sûrement se tromper. Il n’eut toutefois pas le temps de s’appesantir sur le sujet, Alix revenant au problème que posaient les sirènes et Naïla, de même que la recherche du talisman. Il posa une question à laquelle le sage ne s’attendait pas.

— Croyez-vous qu’il y ait un moyen d’entrer en communication avec Kaïn ?

Devant le regard surpris de Foch, Alix ajouta :

— Je vous l’ai dit tout à l’heure. La seule piste que j’ai pour le talisman, c’est celle de Kaïn.

Alix avait parlé si bas après le départ de Madox que Foch avait cru s’être trompé en entendant le nom de Kaïn. Le Cyldias lui raconta alors ce qu’il en était des visions de Naïla et du fait qu’elle avait supposément vu le talisman dans la main du grand Sage disparu. Foch s’abîma dans me intense réflexion avant de répondre.

— Si ce Sage est réellement vivant et libre depuis plus de vingt-cinq ans, pourquoi n’a-t-il pas libéré les deux autres ? Pourquoi ne reprend-il pas la place qui lui revient au sein de l’élite ? Pourquoi ne voit-il pas à la formation d’autres sages ? Il doit savoir que notre terre a désespérément besoin d’êtres à son image…

Foch secouait la tête en signe d’incompréhension. Même si la prison de verre de Kaïn n’avait jamais été retrouvée, le mage ne pouvait s’empêcher de douter de la remise en liberté du Sage.

— J’ignore comment faire pour retrouver quelqu’un de sa puissance sur une terre aussi vaste, admit-il simplement. Il faut aussi que tu sois conscient que ce que Naïla a cru voir peut être une juxtaposition de deux moments distincts, ce qui veut dire que Kaïn a peut-être été en possession du talisman, mais à une autre époque… Tu comprends ce que cela signifie ?

Alix acquiesça. Il avait déjà eu des visions de ce genre, où des moments vécus par une personne à des étapes différentes de sa vie refaisaient surface dans une seule et même image. Ce fichu talisman pouvait donc avoir disparu depuis plus de vingt-cinq ans ! Andréa elle-même ne savait probablement plus où il se trouvait. Et le Cyldias ignorait si ce précieux pendentif possédait une empreinte bien à lui et facilement repérable ou si rien ne le distinguait d’une vulgaire babiole.

Découragé, Alix sortit de la cabane. La nuit était tombée et de rares rayons de lune nimbaient la forêt. Le Cyldias avait l’impression d’être continuellement dans une impasse. Comme il le faisait si souvent – trop souvent – depuis l’arrivée de la Fille de Lune maudite, il leva les yeux vers le ciel et demanda simplement :

— Pourquoi, Alana, pourquoi ?

Il ne pouvait pas entendre la déesse, mais celle-ci répondit néanmoins à sa question.

— Parce que toi seul peux accomplir les exploits nécessaires au rétablissement de l’équilibre de notre univers. Tel est ton destin, Alix

Sur ces mots, Alana déposa un cristal de souvenir sur une tablette de pierre polie. Celui-ci renfermait les informations que Foch et Alix cherchaient, mais il était hors de question que le ciel leur vienne en aide. Ils devaient trouver la réponse à leurs questions eux-mêmes…

 

Le talisman de Maxandre
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